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jeudi 30 septembre 2021

Francis Ponge

 


Ponge,  poète des choses  
       
   À ceux qui ne sont pas familiers avec son œuvre, à ceux qui pensent qu’il est un auteur difficile, je voudrais donner envie de lire les textes de Francis Ponge.   
  Bien sûr, d’éminents intellectuels ont disséqué les écrits de Ponge sous tous les angles. En 1975, un colloque a eu lieu à Cerisy pendant onze jours, en sa présence : Ponge inventeur et classique. Il avait répondu à l’invitation sans doute par courtoisie mais laissait entendre dans ses réponses que toutes les exégèses qu’on faisait sur son œuvre dépassaient sa pensée :   
− Je suis un homme simple, relativement ignorant, dit-il. 
Et sans doute lassé d’entendre toujours les mêmes spécialistes prendre la parole il demanda de laisser d’abord les jeunes s’exprimer.  Car contrairement à ce que l’on pense trop souvent, la poésie de Ponge s'adresse aussi aux jeunes et même à des enfants d’une dizaine d’années, ce que j’ai pu vérifier.    

  Francis Ponge a parfois douté de son appartenance au monde des poètes. C’est vrai qu’il y occupe une place à part, loin des poètes classiques ou des modernes qui défendent la conception traditionnelle, celle qui donne au langage un pouvoir.  Les textes de Ponge ne contiennent aucun lyrisme, l’homme y est souvent absent. Ponge donne l’initiative aux choses, aux objets communs : le cageot, la lessiveuse, l’édredon, la cruche, l’appareil du téléphone…Aucun poète avant lui ne s'est intéressé à ces choses du quotidien.   Les titres d’un de ses livres  les plus lus, Le parti pris des choses, fait penser aux leçons de choses d’autrefois. Il évoque la pluie, les mûres, l’orange, l’huître, le cycle des saisons…  Chaque thème donne lieu à une définition, à une description d’une grande rigueur scientifique, et soudain, au détour d’une phrase, survient un calembour, une association inattendue, un trait d’humour. Ce travail sur les mots et la précision des descriptions caractérisent le style de Ponge et en font l’un des poètes majeurs du 20e siècle.

Le supplément
(deux  réflexions  inspirées par F.Ponge)

                                             1

Savoir tirer des leçons de l'observation de choses banales est aujourd'hui encore nécessaire à la recherche.
     Cette remarque ne concerne pas seulement les scientifiques. Elle s'applique aussi aux artistes, aux poètes. Francis Ponge est sans doute celui qui a su le mieux trouver l’inspiration en cherchant à comprendre ce qu'il voyait autour de lui.

                                                          2

Le travail sur le langage propre à l’œuvre de Francis Ponge n’est pas un simple divertissement, il est une mise en cause de la poésie “sacrée" et nécessite  de lutter avec les mots : ceux-ci sont la matière première dont le poète cherche à tirer des effets  originaux.

                                                           


jeudi 23 septembre 2021

Méditation


 


La montagne se tait

dans son manteau de nuit

et quand tu viens rêver

au pied des vieux mélèzes

plus que l'immensité 

et plus qu'une présence

c'est toi-même

que tu cherches

             *



Août 2021

jeudi 16 septembre 2021

Wilfrid Lucas

 


Wilfrid Lucas, la foi    

   Printemps 1974. Georges Pompidou vient de mourir et une campagne présidentielle va débuter. Cette année 1974 confirme mon engagement dans le monde de la poésie. Je viens de publier un premier recueil. J’écris régulièrement des chroniques et des poèmes dans la revue Présence des Lettres et des Arts. Je participe en mars, à Paris, au congrès du Cercle des Poètes et Artistes français dont je suis devenu membre. Le manifeste de celui-ci m’a plu. C’est un texte basé sur l’humanisme, le respect des hommes de tous les pays, le respect de la nature et des animaux. Manifeste d’un groupement culturel qui a une réelle dimension politique. 

   Ce congrès littéraire est l’occasion de rencontrer des femmes, des hommes, dont je lis régulièrement les textes, et de discuter avec eux. Les conversations montrent que ceux qui constituent ce groupe ont des opinions très variées, sur la poésie d’abord (il y a les partisans de la poésie classique et ceux qui sont résolument modernes), sur la société aussi. Je constate que les propos du révolutionnaire, de l’anarchiste et du « modéré » se mêlent dans la bonne humeur. Arrive l’heure du banquet. Celui-ci est présidé par Wilfrid Lucas, poète normand qui vient d’avoir 92 ans. Ce grand poète a été couronné en 1950 par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre faite de poèmes de forme classique inspirés par la foi catholique. 

   Georges Chapier a dit de lui que c’est “ un homme du Moyen-Âge attardé dans le XXe siècle.”   Quelques jours avant cette réunion, j’ai lu dans Présence le dernier poème qu’il vient d’écrire. Il s’intitule Dernière gerbe et les vers sont des alexandrins au milieu desquels il a intercalé des quatrains dont les vers ont six pieds. 

   Ce qui m’a frappé en lisant ce poème, c’est l’optimisme qui s’en dégage. Bien sûr, il fait allusion à sa vieillesse qu’il qualifie de faste, mais on ne sent aucune tristesse dans ce texte. Au contraire, l’auteur parle d’espoir:  « Me voilà qui revis au baiser d’espérance » et  « de la chaleur d’aimer ». 

   Je regarde, admiratif, ce vieillard au beau sourire qui parle de poésie avec enthousiasme malgré les épreuves (il a perdu l’ouïe pendant la première guerre mondiale). Il s’enflamme et nous dit son amour de la vie. Il donne assurément l’apparence d’un homme heureux. 

   Deux ans plus tard, j’apprenais son décès.    

  Wilfrid Lucas n’était pas seulement un poète. J’ai aussi apprécié ses qualités humaines. Il était respectueux des autres,  c’était un homme ouvert, porteur d’un enthousiasme communicatif. 

jeudi 9 septembre 2021

Tristan Corbière

 Corbière, la tragédie humaine  



  


   Tristan Corbière fait partie des fondateurs de la poésie moderne.  Le 21e siècle l’a quelque peu oublié. Il faut dire que son œuvre n’est pas abondante en raison d’une vie trop courte (il est mort dans sa trentième année). Un seul livre publié deux ans avant sa mort, Les amours jaunes, est paru à compte d’auteur, dans l’indifférence.       

 Verlaine a contribué à le faire connaître en lui consacrant un chapitre de son essai Les poètes maudits.    Certains critiques pensent que pour connaître un écrivain ou un artiste, il n’est pas utile de s’intéresser à sa vie car, selon eux, seule l’œuvre compte. Je ne partage pas cet avis.  

  Je suis persuadé que la biographie de Corbière est indispensable à la compréhension de sa poésie.   D’abord, ses origines bretonnes expliquent son amour de la mer qu’il évoque dans ces lignes  « Penmarch’, Toul-Infern, Poul-Dahut, Stang-an-Ankou… Des noms barbares hurlés par les rafales, roulés sous les lames sourdes, cassés dans les brisants et perdus en chair de poule sur les marais… »   Et il y a le milieu familial. Le père, Édouard, fasciné par la mer et les bateaux, puis journaliste et romancier et président de la Chambre de Commerce de Morlaix, tint un grand rôle dans la construction de sa personnalité.  

  Ce père a 52 ans quand Édouard Joachim naît le 18 juillet 1845 à Morlaix. Quant à la mère, Angélique, elle n’a pas encore vingt ans. Cette différence d’âge fut vécue par l’enfant comme une situation ambiguë. L’ombre du père était omniprésente. En 1862, il décida de s'en affranchir en se faisant appeler Tristan.    Enfin, il faut prendre en compte son mauvais état de santé : à l’âge de quatorze ans, alors qu’il était en pension à Saint-Brieuc, le jeune Corbière ressentit les premiers signes d’un rhumatisme articulaire qui l’obligea à interrompre ses études à seize ans.  Dès lors, la souffrance physique, les échecs (notamment dans sa vie amoureuse), l’ombre de la mort, seront la source de son inspiration et donneront naissance à l’ouvrage de sa vie, les Amours jaunes.     

  Ce recueil a été publié en 1873. Corbière avait alors 28 ans. Ce livre a suffi à faire évoluer la poésie, à la faire sortir de la prosodie impeccable des Victor Hugo, Lamartine et Leconte de Lisle pour prendre un nouveau tournant qui conduira à Apollinaire et à la poésie moderne.   

 Verlaine fut l’un des premiers à comprendre le talent du poète. Il pensait que « Corbière était en chair et en os tout bêtement… Son vers vit, rit, pleure très peu, se moque bien, et blague encore mieux. »   

Corbière aurait pu s’apitoyer sur sa souffrance physique, sur ses amours déçues, il a préféré manier l’humour, l’ironie, jouant parfois avec les mots comme le feront plus tard les surréalistes.  Il n’hésite pas à parodier La Fontaine dans Le poète et la cigale pour évoquer son amie Armida, inspiratrice des Amours Jaunes, ou à prolonger à sa façon le poème de Hugo, Oceano Nox :  « Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle….  Laissez-les donc rouler, terriens parvenus ! »  Dans son Épitaphe, l’excentricité et l’humour de Corbière apparaissent à chaque vers :  

« Mélange adultère de tout :  De la fortune et pas le sou,  De l’énergie et pas de force,  La Liberté, mais une entorse. »  

  Cependant, de temps à autre, le poète ne veut plus, ou ne peut plus cacher sa détresse. Il la crie dans des vers pathétiques, comme dans Le crapaud :  « — Un crapaud ! ...  Vois-tu pas son œil de lumière…  Non : il s’en va, froid sous sa pierre.  Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.» 

Tristan Corbière est un poète à découvrir ou à relire.

mercredi 1 septembre 2021

Les poètes que j'aime : Fombeure

 


 

Maurice FOMBEURE

 

   Le poète du 20e siècle n’est plus comme ses prédécesseurs un aristocrate ou un auteur aidé par un mécène, il est rarement un poète sans le sou vivant misérablement. Le 20e siècle a été l’époque du poète-professeur que rien extérieurement ne distingue de ses collègues. Maurice Fombeure (1906- 1981) est l’un de ces enseignants poètes.

    Né dans une famille d’agriculteurs du Poitou, il n’a pas connu sa mère, décédée à sa naissance. Il est élevé par des grands-parents et son père. Après ses études à l’Ecole Normale de Poitiers il entre à l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud et  devient professeur de lettres ; il enseigne notamment à Arras où il a laissé l’image d’un homme modeste et plein d’humour (selon le témoignage d’un de mes professeurs qui faisait partie de ses amis).

 Parmi la vingtaine de recueils qu’il a écrits, on retiendra surtout À dos d’oiseau (1942)

   Fombeure poète n’a jamais oublié les paysages de son enfance. Il aimait la campagne, les chemins boueux, les bois.

 Dans le poème Forêts, il exprime sa proximité avec la nature et les hommes qui vivent dans les bois (révoltés, compagnons de la grand’route, bûcherons...).

 Il évoque  les forêts ”constellées et chantantes” où courent des cerfs "aux ramures persillées", des biches, des sangliers "rugueux fouisseurs et sanguinaires", les sous-bois "noirs, épais" et humides.

 Il chante la forêt dans un style limpide et compréhensible :

 “ Forêt terrestre, maternelle...

 Forêt de mes enfances, ô forêt batracienne

 Ô forêt palmipède, ô forêt des plumiers...

 Déchirée de drames intimes...”

Cliquez ici pour En savoir plus (un documentaire de France 3)

 

le puits