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jeudi 9 septembre 2021

Tristan Corbière

 Corbière, la tragédie humaine  



  


   Tristan Corbière fait partie des fondateurs de la poésie moderne.  Le 21e siècle l’a quelque peu oublié. Il faut dire que son œuvre n’est pas abondante en raison d’une vie trop courte (il est mort dans sa trentième année). Un seul livre publié deux ans avant sa mort, Les amours jaunes, est paru à compte d’auteur, dans l’indifférence.       

 Verlaine a contribué à le faire connaître en lui consacrant un chapitre de son essai Les poètes maudits.    Certains critiques pensent que pour connaître un écrivain ou un artiste, il n’est pas utile de s’intéresser à sa vie car, selon eux, seule l’œuvre compte. Je ne partage pas cet avis.  

  Je suis persuadé que la biographie de Corbière est indispensable à la compréhension de sa poésie.   D’abord, ses origines bretonnes expliquent son amour de la mer qu’il évoque dans ces lignes  « Penmarch’, Toul-Infern, Poul-Dahut, Stang-an-Ankou… Des noms barbares hurlés par les rafales, roulés sous les lames sourdes, cassés dans les brisants et perdus en chair de poule sur les marais… »   Et il y a le milieu familial. Le père, Édouard, fasciné par la mer et les bateaux, puis journaliste et romancier et président de la Chambre de Commerce de Morlaix, tint un grand rôle dans la construction de sa personnalité.  

  Ce père a 52 ans quand Édouard Joachim naît le 18 juillet 1845 à Morlaix. Quant à la mère, Angélique, elle n’a pas encore vingt ans. Cette différence d’âge fut vécue par l’enfant comme une situation ambiguë. L’ombre du père était omniprésente. En 1862, il décida de s'en affranchir en se faisant appeler Tristan.    Enfin, il faut prendre en compte son mauvais état de santé : à l’âge de quatorze ans, alors qu’il était en pension à Saint-Brieuc, le jeune Corbière ressentit les premiers signes d’un rhumatisme articulaire qui l’obligea à interrompre ses études à seize ans.  Dès lors, la souffrance physique, les échecs (notamment dans sa vie amoureuse), l’ombre de la mort, seront la source de son inspiration et donneront naissance à l’ouvrage de sa vie, les Amours jaunes.     

  Ce recueil a été publié en 1873. Corbière avait alors 28 ans. Ce livre a suffi à faire évoluer la poésie, à la faire sortir de la prosodie impeccable des Victor Hugo, Lamartine et Leconte de Lisle pour prendre un nouveau tournant qui conduira à Apollinaire et à la poésie moderne.   

 Verlaine fut l’un des premiers à comprendre le talent du poète. Il pensait que « Corbière était en chair et en os tout bêtement… Son vers vit, rit, pleure très peu, se moque bien, et blague encore mieux. »   

Corbière aurait pu s’apitoyer sur sa souffrance physique, sur ses amours déçues, il a préféré manier l’humour, l’ironie, jouant parfois avec les mots comme le feront plus tard les surréalistes.  Il n’hésite pas à parodier La Fontaine dans Le poète et la cigale pour évoquer son amie Armida, inspiratrice des Amours Jaunes, ou à prolonger à sa façon le poème de Hugo, Oceano Nox :  « Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle….  Laissez-les donc rouler, terriens parvenus ! »  Dans son Épitaphe, l’excentricité et l’humour de Corbière apparaissent à chaque vers :  

« Mélange adultère de tout :  De la fortune et pas le sou,  De l’énergie et pas de force,  La Liberté, mais une entorse. »  

  Cependant, de temps à autre, le poète ne veut plus, ou ne peut plus cacher sa détresse. Il la crie dans des vers pathétiques, comme dans Le crapaud :  « — Un crapaud ! ...  Vois-tu pas son œil de lumière…  Non : il s’en va, froid sous sa pierre.  Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.» 

Tristan Corbière est un poète à découvrir ou à relire.

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